Le futur du travail : déshumanisation et robotisation ?

En mars, deux études sur le futur du travail ont été publiées. La première est issue du très médiatique rapport de Cédric Villani sur l’intelligence artificielle. Le sujet y occupe un chapitre entier. La seconde est signée par France Stratégie, et examine en particulier la transformation des secteurs du transport, de la banque et de la santé. Au total, cela représente 111 pages d’informations denses et techniques. Nous les avons décortiquées, et en avons tiré dix enseignements. Voici les cinq premiers.

Enseignement n°1 : L’intelligence artificielle va bien provoquer une révolution du travail.

On a connu des études plus mesurées. Par exemple celle de l’OCDE, qui estimait en 2016 que “seulement” 9% des emplois allaient être automatisés. Dans les rapports Villani et France Stratégie, pas de prédiction hasardeuse, mais des analyses tranchées: “Il apparaît de plus en plus certain que [l’intelligence artificielle] va modifier la majorité des métiers et des organisations”, peut-on lire dans le premier. “Combien de personnes sont concernées dans leur travail au quotidien? Potentiellement tout le monde”, affirme le second. Eh oui, les logiciels “intelligents” sont utilisables dans un grand champ d’activités. Exemple: la reconnaissance et la synthèse de la parole, et le traitement du langage naturel permettent d’engager des conversations entre humains et machines, et de créer les fameux “chatbots” qui révolutionnent déjà plusieurs secteurs.

Enseignement n°2 : Rares seront les professionnels qui passeront entre les gouttes.

Une partie de votre travail pourrait-elle être effectuée par un robot? C’est le cas si vos tâches quotidiennes remplissent les conditions suivantes, rappelées dans le rapport Villani. Un, vous répétez continuellement une même série de gestes et d’opérations. Deux, vous appliquez strictement des instructions et ne rencontrez presque jamais d’imprévus. Trois, si un problème se présente, c’est un collègue ou un supérieur hiérarchique qui le gère. Quatre, votre travail implique peu de contacts avec le public. A la lecture de ces critères, on pense d’emblée aux opérations d’assemblage, de manutention ou d’encaissement. Mais ils s'appliquent aussi aux tâches de bureau, comme la gestion d’un planning ou la relation client.

Et puis la technologie va continuer d’évoluer. “Des tâches considérées aujourd’hui comme très qualifiées pourraient être automatisées”, rapporte l’étude France Stratégie, qui évoque notamment l’exemple de la conduite autonome. “La partition entre la machine non créative et l’humain créatif est de plus en plus remise en cause, ce qui rend difficile d’attribuer les domaines partagés, poursuit le second rapport. Aucun métier ne peut imaginer être à l’abri de modifications du fait de ces critères.”

Enseignement n°3 : La mutation pourrait être brutale dans les transports, et progressive dans la banque.

France Stratégie identifie deux scénarios opposés. Le premier: la diffusion de l’IA se fera “dans la continuité de la transformation numérique” des entreprises, ce qui conduirait à “des transformations progressives des tâches, des emplois, des compétences et des organisations, avec la possibilité d’accompagner les évolutions pour les travailleurs ainsi que pour les usagers.” Le second scénario: une transformation brutale, avec un “temps d’adaptation des entreprises (...) très court” et “de réelles difficultés”. L'organisme a analysé en profondeur trois secteurs. Pour l’activité de taxi et le transport routier de marchandises, il table sur une transition rapide - alors que le gouvernement doit présenter un plan pour le développement de la voiture sans chauffeur mi-avril. Pour le secteur bancaire en revanche, une “évolution progressive” est à prévoir. Quant aux sous-secteurs de la santé, ils devraient évoluer de manières très diverses. “La vitesse de transition dépendra en partie de la technologie, mais plus vraisemblablement d’une combinaison entre acceptation sociale et volonté politique”, note le rapport.

Enseignement n°4 : Travailler avec une IA ne sera pas forcément une sinécure.

“L’automatisation des tâches et des métiers peut constituer une chance historique de désautomatisation du travail humain: elle permet de développer des capacités proprement humaines (créativité, dextérité manuelle, pensée abstraite, résolution de problèmes)”, se réjouit le rapport Villani. Sauf que ce ne sera pas forcément le cas car “obéir aux ordres d’une intelligence artificielle, perdre le contrôle sur les processus, déléguer les décisions à la machine sont autant de modes de complémentarité qui (...) seront susceptibles de créer de la souffrance au travail”, poursuit le rapport. Exemple cité dans l'étude: les entrepôts logistiques, dans lesquels certains salariés suivent toute la journée les ordres d’un programme informatique. Le sujet est de taille, donc, d’autant que “la très grande majorité des emplois qui verront le jour comporteront la nécessité de travailler avec une machine”. La solution? Une refonte de la législation concernant les conditions de travail, aujourd’hui “principalement adaptée aux modes de travail de l’ère industrielle”.

Enseignement n°5 : Mal déployée, l'intelligence artificielle pourrait conduire à une explosion des inégalités.

“L’histoire nous enseigne que les précédentes transitions ne se sont pas faites sans encombre et que les processus de réajustement politiques ont parfois été violents, souvent au détriment des populations déjà les plus fragiles”, explique le rapport Villani, ajoutant que “les risques d’augmentation du chômage et des inégalités peuvent être élevés”. France Stratégie tempère: “Le scénario souvent avancé d’une transformation radicale et massive du travail apparaît toutefois peu crédible”. Mais ses experts rappellent que, dans certains secteurs ou sous-secteurs, “des ruptures peuvent se produire, avec tout ce que cela suppose d’ajustements brutaux (chômage, reconversions professionnelles, détérioration des conditions de travail, etc.)”, et que “mal déployée, [l’IA] peut conduire à une « prolétarisation » accrue des travailleurs”.

Par Tiffany Blandin  |  LinkedIn
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